NOTES

 

Sous leur apparente généralité ces lignes se rapportent à ce que Hugo sait de l'Hercule chrétien de Ronsard (Second livre des Hymnes, 1553). Aux premiers siècles du christianisme, la religion nouvelle entrait en concurrence avec les anciennes et tout l'effort de l'apologétique des Pères de l'Eglise tend à la simple dénonciation de l'idolâtrie. Plus tard en revanche, il est exact qu'Hercule, héros de la purification, fut communément considéré comme préfiguration du Christ (voir Marcel Simon, Hercule et le christianisme, PU Strasbourg, 1956). Le grand mouvement, à partir du XV° siècle, d'assimilation du monde antique au monde chrétien maintenant dominant culmine avec cet Hercule chrétien qui développe en détail une lecture analogique interprétant chaque épisode de la vie du héros païen comme la figure d'un épisode de celle du Christ. Affaibli aux siècles classiques, ce mouvement, s'appuyant sur les travaux de Creuzer, reprend et culmine dans le mysticisme syncrétique des premières décennies du XIX° siècle avec J. de Maistre, Ballanche, le baron d'Eckstein, etc.- voir les premiers chapitres de P. Albouy, La Création mythologique chez V Hugo, Corti, 1968.

S'il ne la conaissait pas directement, Hugo a pu être informé de l'appréciation de Charles Sorel et du cardinal Du Perron sur Les Hymnes de Ronsard, et sur l'Hercule chrétien en particulier, par le Dictionnaire de P. Bayle à l'article RONSARD: « Consultez le Sieur Sorel; il dit que les Odes de Ronsard, "qui sont à la louange de quelqu'un ne manquent pas d'imiter Pindare, & pour les autres qui sont indifférentes, elles sont quasi toutes prises d'Anacreon, tellement que l'on n'y void presque autre chose, sinon que possible demain nous ne serons plus qu'un peu de poussiere, & qu'il faut jouyr du temps quand nous l'avons, & s'adonner à boire ou à faire l'amour, ce qui semble estre des preceptes d'un homme qui ne croid point l'immortalité de l'ame. Les Hymnes n'exhortent pas beaucoup plus à la vertu; les unes ne sont que des repetitions de ce qui est dans Homere & les autres Poëtes, comme les Hymnes de Calaïs & Zethes, & de Castor & Pollux, ce qui n'est guere à propos; car il n'est pas besoin d'aller chanter des loüanges à ces personnages imaginaires. Pour l'Hymne d'Hercule comparé à Jesus-Christ, tant en sa naissance qu'en ses labeurs, c'est une chose qui ne sçauroit donner de la devotion; car ces applications si esloignées nous font plustost rire, que de nous faire songer à nous repentir de nos fautes." Après avoir fait l'Analyse de cette Hymne, il ajoute: "J'aymerois mieux bannir tout-à-fait les fables des Payens, que de les penser corriger, en les appliquant ainsi à des mysteres sacrez. Il est dangereux de laisser traicter ces sujets à des Poëtes. Vous voyez que si vous voulez un peu penetrer les choses, les mysteres de nostre religion sont prophanez: car les rapports ne sont que dans la superficie. Quelle infamie est-ce de rapporter l'adultere de Jupiter à l'incarnation du Verbe éternel? ll faut dire aussi que la Vierge est representée par Alcmene; & pour l'Ange Gabriel qui annonça la conception, & le sainct Esprit qui y opera, ce sera Mercure qui representera cela. O pauvre Poète l Si vous voulez expliqucr ainsi toute la ſable d'Hercule, regardez ce que vous faictes; car il y a là-dessous des pensées si abominables, que la plume me tombe de la main quand j'y songe. Vous me direz que vous n'en avez rien touché: mais pour peu qu'un homme soit subtil, ne voudra-t-il pas voir tous les rapports de vôtre fable, & puis la comparaison d'Hercule à Jesus-Christ, n'est-elle pas indigne par tout". N'oublions pas qu'il excuse un peu ce Poëte. "J'ay veu aussi des moralitez sur le Roman de la Rose, où les plus lascives choses qui s'y voyent estoient expliquées pour nostre creation, & nostre redemption; & pour la vie éternelle: mais il y avoit là encore des imaginations execrables, ce que je ne croy pas pourtant que l'Auteur eust fait autrement que par innocence, & pour suivre la simplicité de son siecle. Aussi je ne doute point que Ronsard n'ait eu l'intention tres-bonne en son Hercule Chrestien: mais il n'a pas fait ce qu'il esperoit. Pour ses autres Hymnes, si l'on parle de celle de l'Eternité, de la Justice, des Demons, & des autres semblables, il nous y forge beaucoup de Divinitez qu'il faloit laisser aux Grecs". Critiquant les Hymnes des quatre Saisons, le chef-d'oeuvre de ce Poëte, si l'on s'en rapporte à son oraison funebre & à Pasquier, il y remarque mille défauts, & même une lourde contradiction. »

Note à « oraison funèbre » ci-dessus : Ceux qui auront veu les Hymnes des quatre Saisons, comme je pense qu'il s'en trouvera peu en ceste compagnie qui n'aient eu cette honneste curiosité, confirmeront assez mon opinion, & attesteront qu'il est presque impossible de jeter les yeux dessus, que l'on ne sente un certain ravissement d'esprit, & que l'on ne confesse qu'il faut qu'il y ait quelque âme & quelque génie là-dedans qui agite et transporte soit les lecteurs, soit les auditeurs. Du Perron, Oraison funèbre de Ronsard, pag. 198-199. »